Si j’étais paranoïaque, je dirais que la FAO, organisme onusien honorable, celui-là même qui affirmait en 2007 que l’agriculture bio pouvait nourrir le monde, semble influencé par les lobbies agro-alimentaires. Si j’étais flippée, je dirais que le rapport annuel de l’organisation, qui plaide pour un investissement accru en faveur des femmes chefs d’exploitation dans les pays pauvres, cache en fait d’autres préoccupations moins nobles. Mais il faut raison garder.
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Les pays pauvres doivent-ils développer une agriculture à l’occidentale pour être enfin auto-suffisants ? N’y aurait-il pas, comme ça, en passant et à tout hasard, un moyen de faire autrement, une troisième voie, entre agriculture pesticidée intensive et chèvres exsangues sur sol sableux ? Un rapport de la FAO signalé ce jour par l’agence Gaïa Presse + un papier de Lester Brown sur la crise alimentaire mondiale (Courrier International) = deux façons de répondre à cette fichue question.
Le texte signalé par Gaïa Presse, qu’on peut lire sur le site de la FAO explique que les femmes agricultrices (on parle ici des chefs d’exploitation) des pays pauvres n’ont pas accès autant que leurs pairs masculins aux "intrants" (= engrais et pesticides) et à la terre. Si c’était le cas, mécaniquement, les rendements seraient tels "qu’il serait possible d’augmenter la production agricole et de réduire de 100 à 150 millions le nombre d’affamés dans le monde", a calculé la FAO.
Extrait :
"Un profond fossé sépare les agricultrices des agriculteurs en ce qui concerne l’accès à un vaste éventail de ressources agricoles, notamment la terre, le bétail, la main-d’œuvre agricole, l’instruction, les services de vulgarisation, le crédit, les engrais et la mécanisation.
Les femmes dans toutes les régions ont généralement moins d’accès à la terre que les hommes. S’agissant des pays en développement pour lesquels on dispose de données, les femmes représentent 3 à 20 pour cent des propriétaires terriens. La part des femmes dans la main-d’œuvre agricole est largement supérieure et varie de 20 à 50 pour cent dans ces pays.
Les agricultrices obtiennent moins de rendements que les agriculteurs, non pas parce qu’elles sont moins douées, mais parce qu’elles gèrent des exploitations plus petites et utilisent moins d’intrants, comme les engrais, les semences améliorés et les outils performants", affirme Terri Raney, qui a supervisé la rédaction du rapport."
OK, on peut s’accorder sur la nécessité de mécaniser davantage l’agriculture dans ces pays. Mais pourquoi ces rapports onusiens donnent-ils l’impression que le système agricole occidental, pourtant désastreux, reste l’alpha et l’oméga de toute réflexion sur le sujet ? Si j’étais paranoïaque, je dirais que la promotion des femmes est ici instrumentalisée par quelque lobby agro-alimentaire. Mais comme je ne le suis pas, l’idée serait de confronter cette analyse à celle de l’agroéconomiste américain Lester Brown, telle que parue dans le Courrier International "100% agricole" déniché dans une librairie du Mile End (merci l’Ecume des Jours) .
Je vous préviens, le texte de Lester Brown, qu’on peut lire en totalité dans la revue "Foreign Policy", est à se tirer une balle.
Je vous résume le truc.
La demande en produits agricoles augmente déraisonnablement pour trois raisons :
1. Même si l’accroissement de la population marque le pas, il y a 219 000 nouvelles bouches à nourrir chaque jour.
2. Les habitants des pays en développement mangent plus de viande, plus de lait, plus d’oeufs.
3. De plus en plus de terres sont consacrées à la production d’agro-carburants et ne nourrissent plus personne. Un quart des récoltes de céréales US vont dans les pompes à essence.
L’offre ne répond plus à la demande parce que :
1. Les sols surexploités sont érodés (les rendements ne progressent plus du tout en France, par exemple !)
2. Les nappes phréatiques sont épuisées pour cause d’irrigation excessive, mais aussi de déviation des eaux vers les villes en croissance (Moyen Orient, Chine, mais aussi sud-ouest des USA).
3. Il n’y a plus de nouvelles technologies disponibles pour augmenter la productivité (on a tout utilisé).
4. L’urbanisation bouffe des milliers d’hectares de terres agricoles.
5. Les températures augmentent et affectent les rendements.
C’est chouette non ?
"Les Etats doivent rapidement repenser leur conception de la sécurité et attribuer une part de leur budget militaire à la lutte contre le réchauffement climatique, à l’utilisation plus efficace de l’eau, à la préservation des sols, et à la stabilité démographique. Si on ne le fait pas, les prix des denrées alimentaires continueront de grimper."
Comme je suis un brin inspirée par les travaux de Pierre Rahbi, j’ajouterais quelque chose sur la nécessité de dynamiser les agricultures locales et vivrières sans épuiser les sols.
Au lieu de quoi, la FAO propose de filer du Round Up aux femmes africaines.
J’exagère, mais pas tant que ça.