Un récit de voyage dans la Baie-James crie et québécoise en compagnie du député fédéral et leader amérindien Romeo Saganash. Un road-trip pour comprendre pourquoi Eeyou Istchee (le nom cri de la Baie-James) est le centre du monde. A paraître le 10 novembre dans les librairies québécoises. Sur commande dès janvier dans les librairies françaises.
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Au début de l’été 2015, Emmanuelle Walter a sillonné la Baie-James québécoise, guidée par un enfant du pays, le leader cri Romeo Saganash. Ce rescapé des pensionnats, négociateur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, artisan de la Paix des Braves et député d’une circonscription presque aussi grande qu’un continent s’est raconté et a raconté sa région sur fond de musique country.
Récit d’une virée en pick-up, de Val-d’Or à Radisson et retour, avec des escales dans une douzaine de villes et de communautés, ce livre dépeint un vaste territoire, essentiel pour le Québec et pourtant inconnu. Se révèle une terre défigurée par l’extractivisme et la crise climatique, mais repensée, partagée, négociée activement par un gouvernement régional paritaire unique au Canada, formé de Cris et de Jamésiens. Grâce à son guide, l’auteure découvre un paysage en mutation, un laboratoire politique insoupçonné, des personnages étonnants : celles et ceux qui bâtissent, sur le socle minéral du bouclier canadien, une nouvelle cohabitation complexe et effervescente.
Extrait du premier chapitre
Je ne sais pas si la Baie-James québécoise est belle. Elle est trop vaste et trop puissante pour la réduire à ce qualificatif. L’œil peine à englober son paysage. L’appareil photo échoue à restituer ce que l’œil tente d’appréhender. Le cerveau refuse d’analyser ce qu’il voit ; le langage, finalement, démissionne.
Donc, je ne sais pas, mais voici ce dont je me souviens :
J’ai cru que le paysage serait monotone alors qu’il change imperceptiblement, et avec constance, si bien qu’à la fin de la route de la Baie-James, à la fin des 620 kilomètres, la végétation, le relief, la lumière et les couleurs n’étaient plus du tout les mêmes.
J’ai voulu classer ce paysage dans la grille de ceux déjà rencontrés, ou au moins l’assimiler à un souvenir de manuel scolaire ; j’ai voulu lui donner la tendresse et l’élan habituellement ressentis devant la beauté de la nature, mais j’ai été comme submergée, saturée, et je n’ai pas pu.
J’ai compris que faute de frôler les ours, les loups et les caribous, faute de ramer, de pêcher, de chasser, de cueillir les bleuets et le thé du Labrador, on ne peut pas se fondre dans ce puzzle de rivières rugissantes, de routes poussiéreuses, de forêts épaisses, de taïga courtaude, de mamelons rocheux, de bois grouillant de mouches noires, de plages brutes.
J’ai perçu la Baie-James comme un pays en soi ; une terre que l’on parcourt en oubliant le reste ; une Amérique comme inviolée, tenace, qui se superpose aux sols troués, aux rivières harnachées, aux forêts déforestées ; où l’on se sent au cœur du monde.
Mais ce qui m’a le plus étonnée, ce n’est pas ce paysage insaisissable.
Le plus étonnant, c’est que ce « Moyen-Nord », celui d’avant les Inuits, celui où les routes s’arrêtent, celui des hot-dogs tout garnis, des barrages gigantesques et des détresses amérindiennes, cette terre qui n’est sillonnée que par les ingénieurs d’Hydro-Québec, les trappeurs cris et les prospecteurs miniers, nourrit la réflexion politique, écologique, économique, de chercheurs, d’élus, de militants. La Baie-James : un échantillon de planète exploitée sur lequel apparaissent les stigmates de la crise climatique, mais aussi les germes d’une cohabitation équitable entre Blancs et Autochtones.
(...)
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