Je m’écoblanchis, je me greenwashe, je me flagelle

On s’espère décroissant.
On fait pousser un potager.
On fait du pain perdu à la cannelle avec le pain rassis, ce qu’on est fier de ne pas ouvrir un paquet de gâteaux pour le goûter des personnes de petite taille.

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On recycle frénétiquement, double-corbeilles partout dans la maison, dos d’enveloppe qui servent aux devoirs du soir, aux listes de courses, aux prises de notes, compost maximal.
Quand on va au tri, c’est religieux.
La résidente secondaire qui sort de sa voiture 7-5, qui jette tous ses sacs dans le bac ordures ménagères pendant qu’on enfile laborieusement une boîte de corn-flakes (j’y viens) dans le bac de tri, et en plus c’est une bourgeoise pincée, on la fixe bravement du regard avec l’impression de tenir un piquet de grève.
On pompe l’eau du puits (j’y viens) pour les toilettes, l’arrosage du jardin.
Au supermarket, sur un ton sans appel, on refuse aux personnes de petite taille les biscuits emballés individuellement. On contemple fièrement ses achats "AB" (j’y viens) qui s’étalent sur le tapis roulant de la caissière.
Pour Noël, on décore sa maison avec des éléments naturels piochés sur le chemin, jouissance.
Même crevée, même malade, même sous la pluie, on va chercher héroïquement du bois sous l’appentis pour allumer le poële au lieu du radiateur.
Etc.
Mais sauf avec la bourgeoise pincée du 7-5, on s’interdit tout jugement et tout prosélytisme.
Et pour cause.
Les corn-flakes, c’est du maïs (excès d’arrosage, suspicion d’OGM).
L’eau du puits, ben tu pompes quand même la nappe phréatique, nouille.
Le bio reste cher-cher-cher.
S’il n’y avait que ça....
On s’espère bio + décroissant + équitable et on claque des sous sur Amazon et sur la VPC enfants (honte). On habite à un endroit où la voiture s’impose. La maison est mal isolée.
Mais de loin, comme ça, vite vu, on se fait croire des trucs, on fait croire des trucs, bref, ON S’ECOBLANCHIT.
Bien joli de dénoncer l’écoblanchiment chez les méchants, les multinationales, les fabricants de 4-4, de fringues, de hamburgers, d’électricité, de thé, je m’y emploie, mais faut savoir identifier ses propres mensonges, mmmmm.

On se croirait à confesse.


La Land Rover est de retour. A moitié guérie, semble-t-il. La CEC (voir www.emmanuelle-walter.info/Compensation-eco-conjugale.html) est malheureusement en panne : l’actionnariat bio de la ferme bio est pour l’heure en stand-by, et mon isncription à l’AMAP du coin toujours repoussée pour cause de difficultés logistiques. Cata !


comments h

  1. Arnaud

    Gare au cilice, Emmanuelle. Vivre, c’est déjà respirer de l’air, se déplacer, consommer des denrées emballées qu’on a arrosées avec de l’eau propre.
    En échange de quoi ? De la vie, c’est-à-dire, dans le meilleur des cas, de la pensée, de l’amour, des discussions. Rien de mesurable en CO2, rien qui ne puisse faire compensation carbone. Le combat est perdu d’avance. La vie humaine est en soi une dépense énergétique, une bouche à nourrir, une source de déchets. Les écolos ne pensent jamais à la contingence de la vie : ils oublient à tous les humains qui n’ont pas existé. Moins de C02 et d’emballages, certes, mais aussi moins de livres écrits, de baisers sous la pluie, de goûters d’anniversaire, etc.

    1. Emmanuelle Walter

      Cher Arnaud,

      "Le cilice peut être une tunique ou une ceinture, de crin ou d’étoffe rude voire en métal, portée sur la chair par mortification, une pratique religieuse qui consiste à s’imposer volontairement une souffrance pour mieux se tourner vers sa foi." (Wikipédia)

      A ne pas confondre avec :
      "La silice est un composé chimique dioxyde de silicium et entre dans la composition de nombreux minéraux de formule SiO2." (Wiki toujours).
      Je nagerais donc dans la mortification, même vêtue de coton Lycra. Pire : j’en tirerais un certain plaisir (et là j’aggrave mon cas, façon Mont des Oliviers). Mais 1. comment décider de ne RIEN faire au prétexte que le"combat est perdu d’avance" ? Trop facile, trop démissionnaire. 2. Et si c’était un vrai plaisir, nullement entaché d’eau bénite, de faire sa propre compote avec les pommes de son jardin, de pas trop dépenser, de se chauffer au bois ? Non mais ?

      1. Arnaud

        Je constate simplement que l’article est intitulé "je me flagelle". Et que vous y écrivez entre autres "quand on va au tri, c’est religieux". Vous pensez que je vous critique pour cela ? Il n’en est rien. La flagellation est un mouvement inspiré par la noblesse de la culpabilité. Ce n’est pas péjoratif, la culpabilité, sauf pour les publicitaires qui soutiennent qu’il faut "vivre sans entraves" et consommer sans modération. Porter le cilice ne donnait pas le plaisir aux mortifiés : il témoignait juste de leur dignité.
        Dans son beau récit La Trêve, Primo Levi, évoquant la stupéfaction des soldats russes libérant les camps d’extermination nazis, parle de la honte « que le juste éprouve devant la faute commise par autrui, tenaillé par l’idée qu’elle existe, qu’elle ait été introduite irrévocablement dans l’univers des choses existantes ».
        L’écologie n’est pas éloignée de ça. Nous culpabilisons à notre petit niveau des dérèglements dont nous ne sommes pourtant responsables qu’à notre infime mesure.
        Et il y a quelque chose d’héroïque, comme vous l’écrivez, à commettre tous ces gestes dont nous savons qu’ils sont minuscules au fond, mais si tout le monde les pratiquait...
        Je ne fais que constater - sans porter de jugement - que la culpabilité écologiste est très similaire à la culpabilité chrétienne : les chrétiens croient que sommes voués au mal par le fait qu’Adam et Eve aient péché, mais que notre vie doit être un exemple de moralité, imparfaite. Les écolos que nous sommes voués à polluer par notre existence même, mais que notre vie peut être habitée par le souci de préserver le plus possible la planète, de manière imparfaite. C’est ce combat, ni gagné ni perdu d’avance, qui est héroïque. La culpabilité, dont vous faites état dans ces lignes, en est l’aiguillon.
        Bien à vous,

    1. Emmanuelle Walter

      Aucun, je crois que nous sommes tout simplement d’accord, sinon que je suis résolument, terriblement, définitivement athée, que je hais, par exemple, le pardon, la bien-pensance, et toute cette sorte de choses, ce qui rend d’autant plus visible et singulier mon énorme sentiment d’éco-culpabilité.
      Reste à écrire, et j’en suis bien incapable, une analyse judéo-chrétienne de l’écologie - nous y glisserions, parmi d’autres, le personnage de Pierre Rabhi, qui incarne la rencontre du religieux / du spirituel (?) et de l’écologie.
      Je pense aussi que ce n’est pas la culpabilité et la culpabilisation qui peuvent rendre le mouvement écolo efficace, mais bien l’action, la radicalité, et le culte (!!!!!) des faits et de la preuve.