Interviewer Simone et s’enivrer

Est-ce que quelqu’un aurait pu me voir ? C’était au printemps dernier, pendue au téléphone avec une spécialiste des lessives vertes, nez fourré dans le placard à produits ménagers, sous l’évier.

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Si quelqu’un avait jeté un oeil (mais il n’y a pas de quelqu’un chez moi, sinon les écureuils, les lapins, très nombreux cette année, et un randonneur toutes les huit semaines), il m’aurait vue, agitée, débattant du contenu d’une étiquette avec la spécialiste des lessives vertes. Phosphonates. Tensio-actifs. Biodégradabilité. Une enquête pour Terra eco.

Est-ce que quelqu’un m’a vue ? Pour le livre réalisé avec le photographe venu d’ailleurs déjà évoqué ici, je travaille dans un village de 700 âmes. A huit minutes du mien. J’interviewe : la boulangère (Christelle), la bibliothécaire (Simone), le boss du club du 3è âge "Le temps de vivre" (Léon). J’adore. Une heure et demi avec Simone cet après-midi. Elle a inventé le féminisme dans le syndicalisme agricole et tu crois que ça m’intéresse pas ?

Certains enquêtent sur les enfants du Bangladesh enlevés pour devenir des jockeys dans les pays du Golfe. D’autres vont au Colorado pour frissonner dans des prisons haute sécurité. Moi madame, il m’est arrivé d’interviewer mes radis. Pour Arte radio.

En 2000, j’ai passé trois semaines dans la rue perpendiculaire à la mienne, à Saint-Denis 9-3, pour ParisObs (et pourquoi donc aller plus loin, il y avait cet homme plié en deux, hors du temps, qui poussait un chariot, hors d’âge, où s’amoncelait de la ferraille, et il y avait ces dealers en bonnet péruvien qui hantaient l’ancien bidonville espagnol, et ce garage illégal et collaboratif à ciel ouvert, etc)

Ah oui. A Arrêt sur Images, mon travail constituait à regarder la télé, la mienne, au 2è étage, jusqu’à et au-delà de l’écoeurement.

Je pratique le journalisme de pro-xi-mi-té.

A ParisObs, nos habitudes, notre vie quotidienne, notre bouffe, les écoles des mouflets étaient passées au crible. C’était un inépuisable vivier de sujets. On voulait savoir pourquoi ça puait au RER Opéra. Pourquoi les gens s’installaient dans les pavillons Mickey le long des champs de maïs. Et à travers tout ça, on disait plein de choses.

Ici, avec ce livre, je me vautre à nouveau dans le vrai. J’ai l’impression d’entrer dans les entrailles d’un bout de pays.

On peut s’enivrer d’interviewer Simone.