La bobo rurale nichée dans son écrin vert, bercée par ses confitures et ses amis, baguenaudant de marché bio en vide-greniers, peut tout à fait rater la chose, ou, disons, la voir de loin à travers une sorte de brume de bonne conscience - je parle de la pauvreté d’ici, de la misère, cette misère blanche, parfois édentée, cheveux gras, jogging lâche, celle qu’on voit tractant des poussettes sur les départementales faute de bagnole, et parce que le bus ne passe pas assez.
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J’ai vu, au creux d’un après-midi de semaine, lorsque les rues sont désertes, une troupe de joggings lâches qui attendait une distrib de quelque chose, nourriture, vêtements, ça puait le caritatif, ça puait la honte ; le lendemain matin, cette placette médiévale et ravissante serait remplie de nos couffins, caddies, tomates de toutes sortes, miel, crème au lait cru, viens boire un café, tu vas bien, achète son comté, il est formidable.
Je vois ces quartiers HLM de campagne, petits pavillons identiques blanc crème, lézardés ou pimpants, qui tentent de faire comme s’ils étaient du village, du village aux vieilles pierres, classé, fleuri, pavé, zone 30, boutique de déco ouverte du jeudi au dimanche ; j’ai vu les terreurs à scooter, les mêmes qu’ailleurs, l’ennui asphyxiant, la merde, le chômage, la merde.
Je pressens, hélas, pour certaines de ces familles en morceaux, l’absence d’une culture rurale qui pourrait donner du sens à la vie quotidienne, à la vie tout court - pas de potager dans le jardinet - pas de chasse et de pêche - pas toujours en tout cas.
Et maintenant, chaque vendredi, je suis face à eux, certains d’entre eux. Je participe, autour d’un projet écolo, à une session de formation pour jeunes et moins jeunes en panne de tout, pas de boulot, pas de diplômes du tout du tout, X s’est arrêté en CM2 et ne sait pas écrire, Y n’est pas sortie de sa cuisine depuis 5 ans, Z parle sans cesse d’argent, tous se voient comme des moins que rien.
Ils savent plein de trucs. Ils comprennent tout. Ils rasent les murs. Ils ont envie de participer. L’école les a ratés. Ils me bouleversent.
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