Chatons de l’Educ’ nat’

C’est une amie psychologue scolaire dans la Somme, Laurence, une vaillante qui va d’école rurale en école rurale au volant de sa voiture tous les jours que Dieu fait, et Dieu est pluvieux en Picardie, je suis bien placée pour le savoir, j’y suis née.

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De passage dans ma (non moins pluvieuse) petite vallée perdue, et au détour de nos traditionnels lamentos sur l’éduc’ nat’, Laurence raconte ceci.

Elle arrive un matin dans un village pour un rendez-vous avec un enfant, et voilà qu’elle aperçoit l’instit et sa troupe quittant l’école comme pour une sortie. Vitre baissée, elle interroge le maître : "T’as oublié que je venais ce matin ?" Et l’autre de répondre, guilleret : "Mais non, t’inquiète pas, on revient tout de suite, on va sauver des chatons."
Des chatons qui miaulaient de faim et d’abandon, entendus à travers les buissons, désormais adoptés par la classe, une leçon de choses qui ne figure pas au programme. Sauvetage de chatons. Laurence : "C’est sûr, il y a des écoles où il fait bon vivre."

Je poursuis. La semaine dernière, lecture du Nouvel Obs, page 30, échange sur l’école en France entre Descoing, patron inventif de Siences Po Paris, et Dubet, sociologue de l’éducation, sombre et juste. Ils sont d’accord sur tout, ce n’est pas un débat, peu importe, on lit ça (Dubet) : "Vous avez toujours une logique "sportive", les plus rapides grimpent les cols à toute vitesse, et les autres sont orientés vers des collines moins difficiles. Tout le monde est défini par sa distance au champion. Par son niveau d’échec. C’est une école dans laquelle on n’est jamais bon. C’est pour cela que le climat éducatif est si mauvais. Avec les conséquences que l’on connaît : absentéisme, violence..."

C’est pas fini.

Un autre extrait qui tue, Dubet encore : " D’après les comparaisons internationales, la France est le pays où les jeunes ont le moins confiance en eux-mêmes et dans leurs enseignants. A l’étranger, 85% des élèves disent interroger leurs profs quand ils ne comprennent pas. En France, 85% des élèves disent ne pas oser le faire de peur d’être critiqués."

J’arrête, tout est à l’avenant, tout est vrai, tout est désespérant, dramatiquement enraciné et donc peu réformable. Le salut vient des instits qui sauvent les chatons, les vrais, ceux qui miaulent dans les buissons, et les autres, les têtes blondes-brunes auxquelles ils croient contre vents et marées, qu’ils regardent avec bienveillance , qu’ils ne rangent pas dans des cases, qu’ils aident à se trouver, qu’ils n’écrasent pas ; il y en a, j’en connais personnellement, mais cet état d’esprit trop rare (totalement banal au Canada, en Finlande, ailleurs) ils ne le doivent nullement au système. Puissent-ils être un jour entendus, yes !

Post-scriptum : dans un autre Obs, par mon ex-collègue Véronique Radier, un papier sur les gens comme moi qui ont quitté la ville, changé ou transformé leur job, etc, etc. Satisfaction de ne pas sentir complètement exotique et cinglée, d’appartenir à une CSP nouveau genre. Et malaise d’être si aisément "cataloguable"...