C’est toujours possible de diviser un pays en deux. Gauche contre droite, syndicats contre patrons, NPD contre conservateurs, pro-DSK contre anti, pro-école privée contre anti, pro-sorbet contre pro-crème glacée, et j’en passe. Mais les urbanistes et autres sociologues savent très bien que la grosse division, c’est le centre-ville contre la banlieue. Je parle pas ici de la banlieue au sens large, au sens étymologique (le lieu mis au ban). Je parle surtout des banlieues pavillonnaires, comme on dit en France, résidentielles, comme on dit ici.
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Au ban, les banlieues résidentielles ? Faut pas exagérer. Ces gens ont un garage (attenant, c’est d’ailleurs une source effroyable de pollution intérieure, mais c’est pas le sujet), un jardin, une voiture, souvent une chambre par enfant, souvent un job par adulte. Pas mal (fr). Pas pire (qc). Ils sont venus plus ou moins volontairement se poser au-delà du fleuve (qc) ou du périph (fr). Pour l’espace (les riches). Parce que c’est moins cher (les pauvres, les deux ne cohabitant pas dans les mêmes banlieues pavillonnaires, il y a banlieue pavillonnaire et banlieue pavillonnaire).
Bon, voilà où je veux en venir. Oui, les banlieues pavillonnaires, résidentielles, tout ce que vous voulez, les banlieues plutôt blanches, plutôt pépères, les banlieues sans histoire, sont précisément au ban de l’Histoire. L’Histoire s’écrit au centre-ville. L’Histoire, c’est à dire : le tournant écologique et démocratique pris par l’élite éclairée. C’est à dire : les mobilisations citoyennes et solidaires, les marchés fermiers (fr) et publics (qc), les circulations douces, les initiatives festives dans les quartiers, et j’en passe. La banlieue blanche, dans son bungalow, n’est pas dans le coup. La banlieue blanche passe trois heures par jour dans le trafic à informer Yves Desautels (qc) ou Rosny-sous-Bois (fr) de tel accident sur le pont Champlain (qc) ou sur telle bretelle de l’A86 (fr). La banlieue blanche est pas au courant, pour le réchauffement climatique. Dont elle est pour partie responsable. C’est pas qu’on lui a pas dit, à force. Mais ça rentre pas.
Le flamboyant Amir Khadir (Québec solidaire), élu du Plateau-Mont-Royal, la fine Cécile Duflot (Europe Ecologie), vice-présidente de la région Ile de France, ne s’adressent pas à cette banlieue au ban des idées et du mouvement. Je ne sais pas s’ils essaient. Amir et Cécile sont des élus de quartiers denses, de quartiers bobos, de quartiers concernés, les élus des cyclistes, des bouffeurs de graines germées, des universitaires engagés. Bon, c’est trop simple. J’ai rencontré un patron de bar de danseurs nus dans le quartier gay de Montréal qui voulait à tout prix s’abonner au système des paniers bios. Oui mais regarde, ça reste le centre-ville.
Il paraît que sur le forum du site de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, suite au rétrécissement de la place dédiée aux voitures sur l’avenue Laurier, c’est l’émeute. Des types disent qu’ils vont partir s’installer en banlieue. Des types qui vivent sur le Plateau et qui ont du mal à y circuler en auto disent qu’ils vont s’installer dans un endroit où ils mettraient deux heures à rentrer chez eux. Marrant.
Je voudrais rajouter quelque chose sur le sens de l’Histoire. A propos de Charest, le premier ministre du Québec, et son Plan nord, cet extraordinaire projet minier et énergétique qui va bouffer 50% du 1,2 million de kilomètres carrés concernés (soit, au passage, les deux tiers du Québec, dites-moi que je me trompe ?!). Le Plan Nord qui montre que le système n’est pas au fait des dernières nouvelles (réchauffement de la planète, biodiversité en danger, ce genre de choses). Le Plan Nord est résolument banlieue banche. Le Plan Nord est pas dans le coup. Le problème, c’est que ça y est, c’est parti, ça roule, ça creuse, ça détruit.
N’importe quoi.
Je voudrais terminer par une citation de Jean Charest qui, je trouve, n’a pas été appréciée à sa juste valeur. C’était le jour de sa conférence de presse spéciale Plan Nord, il y a quelques semaines. « Je veux qu’on puisse aller peindre le nord, raconter le nord, écrire le nord, le chanter », il a dit. Les mots me manquent !
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