J’ai une amie, quand elle vient chez moi, quand elle débarque après avoir subi l’épreuve de mon chemin cahoteux, j’ai une amie, elle dit "C’est 50 millions d’amis, ici" ! Elle a vu des lapins, en général. Un écureuil. Plein d’oiseaux. Et bien sûr vaches et chevaux. Pardi oui. Mais l’autre jour, j’ai touché le gros lot. J’ai vu quelque chose d’incroyable. La biodiversité, les gars, c’est chez moi !
Sélectionnez un passage du texte et twittez-le directement
Imagine ; tu es pendue en séminaire téléphonique avec une tienne collègue journaleuse, une Emmanuelle Vibert par exemple ; juste devant toi, la large baie vitrée qui donne sur les prairies - mais toi, tu es totalement absorbée par le boulot, un futur dossier pour Terra eco, pardi.
Et là, dans un moment d’égarement, tu relèves légèrement la tête. Tu te figes. Tu cries. Puis tu bégaies en haletant : "Là... à un mètre de moi de l’autre côté de la vitre... Des.. des cygnes noirs... non des... des trucs très grands avec un long cou noir.... des.. des oies sauvages... avec leurs canetons !"
Je jure que c’est vrai. C’était là. Deux adultes, long cou noir, plumage gris, immenses, et trois bébés jaunes façon canetons de bain. J’ai cru que je rêvais. L’autre Emma, depuis son nord-est parisien, m’a conjurée de prendre des photos. Faut dire que c’est une spécialiste de la biodiversité, elle. J’avais sous le bras une personne de petite taille. Je suis sortie très vite avec l’appareil, marchant doucement ; et les oies qui me regardaient, pas trop méfiantes, et puis - zzzz - elles sont descendues sur le chemin creux, puis dans la première prairie, à gauche. Et de les voir, leurs longs cous émergeant des herbes folles et des fleurs, et marchant dans ces prés ensauvagés par l’absence de ruminantes depuis plusieurs semaines, et de les voir, si fières dans ma vallée, exploratrices haut de gamme, dignes, tranquilles et vigilantes, ça m’a bouleversée.
Je les ai suivies de pré en pré, franchissant les haies, personne de petite taille dans les bras et appareil autour du cou, et quand je me suis approchée de très près, l’une - la mère, allez - s’est retournée et m’a fait ce bruit significatif qui dissuade un brin l’approche. Au bout de vingt minutes, je les ai laissées s’éloigner. Et là, derrière moi, à trois mètres, grand fracas. Un chevreuil mâle, costaud, sortait de la haie au galop.
Into the wild, quoi.
Ce n’est pas fini. Un renard, l’autre soir. Une biche, hier, au milieu du pré, alors qu’on n’y voyait jusqu’alors que des chevreuils, nous regardant avec des yeux immenses. Et toujours ces geais en abondance, et ces oiseaux minuscules que je ne saurais nommer, légers, gris et marrons, si légers, et toujours mon coeur qui se dilate à la vue de tout ceci.
Vivant au bout d’un long chemin, à 300 mètres de la première maison (inhabitée l’hiver), je me surprends à rêver parfois d’encore plus d’isolement, d’encore plus de sauvagerie. Je m’imagine volontiers, non pas dans une Normandie arrosée aux phytosanitaires, mais dans ces fermes escarpées des Cévennes, de Lozère, du Cantal, que sais-je. Peut-être.
Tweet